Pieter Ceizer, l’artiste typographe qui joue avec les mots
9 Oct 2018
Avec la typographie, Pieter Ceizer a trouvé son langage d’artiste. Originaire d’Amsterdam, il partage son temps entre sa ville et Paris, sans compter de nombreux voyages au gré de ses collaborations. Ralph Lauren, Beats by Dre, Air France, colette… Son portfolio impressionne mais pour Ceizer, ces noms évoquent avant tout des rencontres. Entre son dernier pop-up, la réalisation d’une fresque pour Ace & Tate et la préparation d’une collection pour Uniqlo, il nous a parlé de son travail et de la manière dont les mots transforment notre réalité.
Sur l’un de tes t-shirts, il est écrit : “Quit your job and become an artist”. Est-ce que tu as commencé comme ça ?
Pas vraiment, j’ai toujours dessiné depuis que j’ai 11 ans, surtout des lettres, même si j’ai fait d’autres choses avant de me consacrer à mon travail d’artiste. Ce t-shirt a commencé comme une blague mais il représente aussi ma manière de voir les choses : faire ce que j’ai envie de faire et me concentrer sur ça.
Comment choisis-tu les marques avec qui tu travailles ?
La plupart du temps, ce sont les marques qui me contactent et je choisis celles avec qui je travaille. Pour de plus petites collaborations, ça dépend aussi des rencontres. Il y a tant de manières de collaborer : si la boulangerie du coin me contacte et qu'elle me plaît, alors je travaillerai avec elle ! Cela peut aussi être un projet avec de plus grands enjeux commerciaux. C’est une question d’instinct. Il faut que l’on partage la même énergie, le même enthousiasme, la même vision.
En fait, je ne travaille que comme ça. Mes projets peuvent sembler très divers vus de l’extérieur, les gens peuvent y mettre des étiquettes pour les différencier, mais moi, je ne fais pas de différence. Mon approche reste la même, quelle que soit la marque avec laquelle je travaille.
Quelle serait la collaboration idéale pour toi ?
Je pense à ma collaboration avec Air France. Son CEO de l’époque, Jean-Jacques Janaillac, avait acheté l’un des mes tableaux, “Le Ciel”, et il voulait que je crée une carte de vœux pour Noël à partir de ce tableau. Il m’a aussi demandé une version digitale et un poster.
Ce projet était très cool car j’ai travaillé avec beaucoup de liberté. Tout est parti de mon tableau, il ne m’a pas dit quoi faire, quelles couleurs choisir… Il ne cherchait pas juste à communiquer sur Air France, leur logo était d’ailleurs très petit. Il a seulement choisi ce qu’il aimait dans mon travail.
Ce qui importe aussi pour moi, ce sont les rencontres. Je suis allé accrocher mon tableau dans son bureau et c’était surprenant de voir les yeux de cet homme d’affaires, très sérieux, s’illuminer en parlant de mon travail.
Et quelle a été ta collaboration préférée ?
C’est difficile à dire, mais les projets que j’ai fait avec colette m’ont marqué. Parce que c’était colette mais aussi grâce aux gens que j'ai rencontrés. On a commencé en échangeant par email car ils achetaient mes t-shirts, puis j’ai rencontré Sarah Andelman, la directrice artistique, et tous ceux qui y travaillaient, des vendeurs aux équipes logistiques. À la fin je connaissais tout le monde, ils sont devenus mes amis.
Et j'ai trouvé que Sarah travaillait d'un manière très intéressante. Au début, je ne comprenais pas sa façon de faire. Nos réunions étaient très courtes : on prenait un café, elle me disait ce qu’elle aimait, ce qu’elle n’aimait pas, ce qu’elle attendait, et elle me donnait rendez-vous la semaine suivante. Je ne savais pas vraiment ce qu’il allait se passer. Finalement, le projet prenait vie très rapidement ! Avec d’autres gens, je peux parler d’une idée pendant des semaines. Là, tout allait vite, c’était un peu surréaliste mais très cool.
Tu as lancé un pop-up store en 2017 et un autre en 2018. Quelle était l’intention derrière ces projets, par rapport à une exposition traditionnelle ?
Tout s’est fait naturellement. Au départ, je voulais surtout partager mon travail, le montrer. Et comme toujours, le projet a évolué au fil des rencontres. J’ai proposé ma ligne de vêtements, des tableaux, et les gens pouvaient aussi se faire tatouer certains de mes dessins.
L’idée des tatouages est venue grâce à un tatoueur qui travaillait dans un bar ou j’allais souvent. Il m’a montré ses dessins et il m’a parlé de ses tatouages. J’ai été voir son travail sur Instagram et je l'ai trouvé très doué. Le pop-up allait ouvrir dans quelques jours donc ça s’est fait comme ça. Et l’accueil a été très bon.
Les artistes doivent-ils penser comme des entrepreneurs pour réussir ?
C’est difficile à dire. En ce qui me concerne, j’aime donner vie à mes idées. Je ne veux pas faire un dessin et le cacher sous mon lit. Je veux le montrer, j’adore partager un travail, une énergie. Et à force, c’est devenu mon job. C’est une manière amusante de faire tourner une entreprise !
Keith Haring m’inspire beaucoup à ce niveau. Il associe le street-art avec des produits plus abordables. Il a réalisé des fresques mais aussi créé des t-shirts… Il ne s’agit pas d’être commercial mais d’être accessible. Cela permet de toucher une audience plus diverse, de la personne qui peut s’offrir un tableau à celle qui achètera un t-shirt.
Les mots occupent une place centrale dans tes œuvres. Que représentent-ils pour toi ?
Quand j’étais enfant, je dessinais tout le temps mais le résultat n’était pas très bon, jusqu’à ce que je commence à dessiner des lettres. D’ailleurs, je n’aime pas vraiment faire des illustrations. Donc j’ai trouvé mon style comme ça. Et pour moi, les mots ont aussi une dimension spirituelle : si je dessine un arbre, vous verrez juste cet arbre. Mais si j’écris le mot “arbre”, vous penserez peut-être à l’arbre dans le jardin de votre grand-mère tandis que je penserai à l’arbre en face de chez moi. La perception dépend de celui qui le lit. Avec les mots, chacun peut faire ses propres projections, ses propres interprétations.
Je crois aussi que les mots ont du pouvoir. Je les utilise pour me motiver avec des citations qui m’inspirent, un peu comme lorsqu’on porte un t-shirt avec un message ou que l’on met un autocollant avec un slogan sur sa voiture. La manière dont je pense crée ma réalité. J’écris sur ce que j'aimerais faire avec une marque et quelque temps après, je travaille avec elle. C’est va plus loin que d’écrire des choses amusantes. Je projette ce que je vivre dans ma tête et ça devient réel. Les mots déclenchent une pensée, une énergie, et on arrive là où l’on veut aller.
Propos recueillis par Clémence Gruel