Peckham Levels, un parking londonien transformé en vivier hype et créatif
7 Mar 2018
Comment transformer des friches en lieux inspirants et solidaires, grâce au localisme ? James Leay, co-fondateur du collectif Make Shift, nous répond.
« Si nous voulons mener une vie meilleure et redevenir des communautés fortes, nous devons dénicher le talent local et lui donner une opportunité de se développer », affirme James Leay, co-fondateur de Make Shift. Il a déjà lancé deux tremplins pour la création et l’entrepreneuriat - Pop Brixton et récemment Peckham Levels - dans des parkings abandonnés au sud de Londres.
La capitale anglaise est pionnière en matière de réhabilitation urbaine. En témoignent la renaissance des zones industrielles de King’s Cross et de la centrale électrique de Battersea, ainsi que les logements et lieux commerciaux et culturels dans des friches, comme le Tate Modern. Mais, à la différence de La Belle de Mai à Marseille ou du Ground Control à Paris, les projets de Make Shift naissent pour et par les communautés locales. Ils permettent aux jeunes talents de s’épanouir dans des espaces aux loyers réduits où le public vient découvrir leur travail et se détendre.
À Pop Brixton, cela donne des conteneurs accueillant entre autres des bureaux de startups et d’associations, des restaurants, boutiques de créateurs et un jardin communautaire. Les sept étages de Peckham Levels abritent eux des coworkings, des stands de street food, des bars, des studios de yoga et de musique...
Comment en êtes-vous venu à lancer ces initiatives ?
À 15 ans, je travaillais pour une salle de réception de mariages et d’événements. J’adorais l’aspect créatif et faire passer un bon moment aux gens. Mais j’ai commencé ma carrière dans un réseau d’investissement, connectant des entrepreneurs à des business angels, puis dans une société de réalité augmentée. Le monde plus tangible des petits commerces et créateurs m’intéressait plus et j’ai été vendeur de street food sur les marchés londoniens. C’était génial mais le style de vie était brutal. Je suis alors tombé sur Pop Brixton au hasard, quelques mois avant l’ouverture. Ce lieu représentait tout ce que je cherchais depuis 7 ans. J’ai rejoint l’équipe de ce qui allait devenir Make Shift et qui collaborait avec Carl Turner Architects.
Comment le projet de Peckham Levels a-t-il été mis en place ?
Comme Pop Brixton : le conseil municipal a lancé un appel à projets pour manager l’espace pendant une durée limitée (Pop Brixton jusqu’en 2020 et Peckham Levels jusqu’en 2025) et nous avons gagné avec Carl Turner Architects. Nous avons rénové cet endroit superbe et brutaliste de 9300 m2 vides et nous sommes partis sur les mêmes bases que Pop Brixton : louer des espaces de travail et de vente à des locaux à des loyers bas, sur lesquels nous prélevons un pourcentage, et établir un programme d’investissement communautaire.
Comment adaptez-vous chaque nouveau projet à la communauté locale ?
Avant et pendant que nous créons le design et le programme d’adhésion, nous organisons des événements pour sonder la communauté. Nous allons aussi frapper aux portes, sur les marchés, dans les écoles et à des réunions de groupes d’action locaux. Nous savons ainsi s’il y a un besoin pour le projet et cela nous guide dans sa réalisation. En parlant aux gens, je sais par exemple combien d’espace prend un tank de bière ou la hauteur de plafond nécessaire dans un studio.
À quels critères faut-il répondre pour devenir membre ?
L’entreprise doit être locale, comme toutes nos équipes sur place. Nous voulons savoir si elle se fournit et emploie localement, rémunère justement ses employés, quelle est son éthique, son impact environnemental et ses perspectives de croissance. Les membres qui paient un loyer basique (200-250 livres sterling) et occupent leur studio trois ans dédient une heure par semaine au programme communautaire (entretien des plantes, coacher une personne en difficulté pour rédiger son CV, animer un atelier éducatif gratuit pour les enfants...). Certains résidents au loyer plus réduit, comme les associations, investissent davantage de temps dans le programme.
Quelles sont les spécificités des designs que vous installez dans ces lieux ?
Nous veillons à avoir une démarche durable (Peckham Levels recycle 85% de ses déchets) et à utiliser des structures existantes pour une intervention minimaliste. À Pop Brixton, nos conteneurs sont de seconde main, et à Peckham Levels nous avons juste ajouté des fenêtres, isolé le bâtiment et divisé l’espace. Je m’intéresse beaucoup aux structures que l’on peut intégrer et déplacer, car nous sommes dans une démarche éphémère, et nous occupons les sites 5-10 ans. Nous voulons qu’ils évoluent constamment et respirent la créativité. C’est pour cela que Peckham Levels est rempli de plantes, et de touches colorées et boisées.
Comment faites-vous en sorte que ces espaces évoluent tout le temps ?
Nous limitons la durée des adhésions pour encourager les membres à tirer le meilleur parti de ce loyer bas dans le temps imparti. Quelqu’un m’a dit l’autre jour au sujet de Cricket qui a quitté Pop Brixton pour ouvrir un restaurant à Soho : « Tu dois être embêté de perdre l’un de tes meilleurs business ». Mais c’est notre but. Nous voulons que ces entreprises grandissent pour en accueillir de nouvelles dans nos studios et espaces de retail, leur donner une opportunité de se développer et maintenir les lieux en constante évolution.
Quel est l’impact de ces lieux sur leur quartier après leur fermeture ?
Pop Brixton génère 18 millions de livres sterling de revenu par an et a contribué à la croissance de l’économie locale à hauteur de 9 millions. Cela nous a permis de montrer une façon différente de faire les choses et nous espérons que, lorsque des logements seront construits sur ce site, il y aura peut-être aussi une grande halle de marché à côté...
Quel sera votre prochain projet ?
Nous travaillons à la réhabilitation d’une immense usine de bonbons au parc olympique, dans l’est de Londres. Le site s’appelle Clarnico Quay et ouvrira en mai 2019. Il abritera notamment un grand jardin et un skate park en accès gratuit et réunira les artistes de Fish Island, assez isolés, ceux hipsters d’Hackney Wick, les commerçants du marché de Roman Road, établis depuis des années, et ceux de Stratford. C’est intéressant de réunir différentes communautés. C’est ce que nous avons fait à Peckham avec des artistes locaux et des jeunes entrepreneurs et à Brixton, lorsque le club d'entraînement de football pour enfants Afewee voulait ouvrir une salle de gym. À travers notre programme communautaire, nous avons demandé à nos résidents, l’agence de design haut de gamme Bharat & Jean, de concevoir un espace pour Afewee au centre récréationnel. Ils venaient d’univers opposés et chacun a beaucoup appris.
Comment Make Shift va se développer en tant qu’entreprise ?
Nous voulons mieux soutenir nos membres dans leur croissance en leur fournissant certains outils directement sur place, par exemple trouver un comptable, un constructeur ou un assureur. Nous souhaitons aussi développer notre réseau d’espaces physiques nationalement et internationalement et créer une plateforme digitale qui permettrait aux membres de communiquer, d’un bout à l’autre du monde, pour lancer des projets ensemble.
Propos recueillis par Normandie Wells