Difficile d’ignorer que nous vivons une époque qui met l’expérience à l’honneur. Des vidéos live partagées sur les réseaux sociaux à l’importance accordée au voyage, la nouvelle génération préfère désormais partager et vivre des expériences – au lieu d’accumuler les possessions. Et les marques de luxe ont bien compris l’importance du phénomène dans leur stratégie de vente. Mais qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Nous avons demandé à quelques experts de l’industrie du luxe de partager leur définition d’une expérience exceptionnelle.
Daniela Walker, éditrice de LS:N Global, sur les expériences « transformantes »
« Pour faire simple : acheter des choses n’est plus si cool que ça. Après la crise, les consommateurs ont pris conscience qu’ils ne pouvaient plus afficher leur richesse de la même manière – ce qui a notamment signé le déclin du logo de luxe. NET-A-PORTER, par exemple, a adopté les boîtes de livraison non siglées. Les gens ont commencé à s’intéresser aux expériences et aux souvenirs associés.
Avec des consommateurs moins intéressés par les choses et plus conscients de l’impact de leur consommation sur la planète, le facteur expérience est devenu crucial pour les marques de luxe. Et contrairement au dernier « it » bag de Chanel, ça veut dire offrir quelque chose d’unique qui permettra à chaque client de découvrir l’ADN de la marque.
Louis Vuitton est l’exemple parfait. Avec leurs expositions Séries, notamment, ils ont permis aux clients de découvrir les coulisses d’une collection de défilés. Mini s’en sort aussi très bien, en particulier avec leur installation Mini Breathe pendant la Salone Design Week de Milan, où ils ont exposé des structures futuristes pour faire face au défi de l’urbanisme. L’installation donnait vie aux principes de la marque d’« utiliser l’espace de manière intelligente » et de « réduire son empreinte carbone au maximum ».
Avec des marques de luxe de plus en plus conscientes de l’importance de l’expérience, celles qui sauront créer des expériences transformantes seront particulièrement intéressantes. »
Lou Mcleod, PDG de William & Son, sur les expériences sur-mesure
« Pour nous, l’expérience est synonyme de service en boutique. Quand vous effectuez un achat important, vous voulez être conseillé par un expert et en savoir le plus possible sur le produit. C’est pour ça que nous avons décidé de ne pas vendre toutes nos collections et proposons aux gens de venir les découvrir en personne dans nos boutiques. C’est quelque chose qui leur plaît beaucoup.
Offrir une expérience en boutique hors du commun sera essentiel pour les marques de luxe de demain. Si vos employés connaissent vos produits sur le bout des doigts et peuvent partager leur passion avec vos clients, vous leur offrirez une expérience d’achat bien plus riche. »
Karolina Wierzbicka, Responsable du Design Planning chez Selfridges, sur les expériences qui créent du lien
« Entre le shopping en ligne, les réseaux sociaux et les nouvelles technologies, tout est désormais à portée de main. Et c’est pour ça qu’il n’a jamais été si important de créer des expériences offline qui comptent. Ces moments « in real life » se concentrent de plus en plus sur les interactions et les connexions entre individus. Il s’agit avant tout de créer des souvenirs et des impressions durables.
Pour créer ce genre d’expériences offline, les marques de luxe doivent comprendre leurs clients et ce qu’ils aiment, ce dont ils ont envie et ce qui leur manque. Et elles doivent trouver une manière vraiment unique de le leur fournir. Une expérience luxueuse doit exprimer la personnalité d’une marque et ce qui l’anime, pour ne pas risquer de manquer d’authenticité. »
Tom Horne, co-fondateur de L'Estrange, nous explique comment apprendre à connaître son client
« Notre mission principale est de chercher à connaître nos clients et comprendre ce qui leur tient vraiment à cœur. Nombre d’entre eux sont des actifs qui accordent beaucoup d’importance à la manière dont ils utilisent leur temps, et comment ils l’utilisent pour améliorer leur vie. Les réseaux sociaux ont amplifié le phénomène en nous permettant de partager nos expériences, et en créant une preuve tangible de notre mode de vie. Les expériences sont plus ou moins devenues les nouveaux symboles de statut social.
Les vêtements sont au cœur de notre activité, mais nous allons bien plus loin. Pour nous, il est indispensable d’offrir une expérience complète. D’une part, nous cherchons à simplifier le processus au maximum – en proposant un chat en ligne ou une livraison le jour même. D’autre part, nous offrons des expériences sur-mesure vraiment uniques avec des services comme des rendez-vous en studio ou des dîners. C’est gagnant-gagnant. »
Allan Baudoin, Fondateur de Baudoin & Lange, sur l’importance de la personnalisation
« Le consommateur s’intéresse de plus en plus à l’artisanat derrière un produit. En particulier sur des marchés comme Hong kong, Singapour et le Japon, le public veut en savoir plus sur les marques et l’histoire de leurs fondateurs. Les marques de luxe grand public perdent du terrain face à des marques plus petites et plus spécialisées qui comprennent mieux leurs clients. Le prêt-à-porter est de plus en plus souvent remplacé par des pièces sur-mesure ou faites à la commande. Les individus au pouvoir d’achat le plus élevé deviennent eux-mêmes acteurs de l’industrie en finançant de nouvelles marques ou en ouvrant des boutiques.
Chez Baudoin & Lange, nous créons des mocassins fabriqués à la commande et sur-mesure rendant hommage à un savoir-faire ancestral, et nous tenons à ce que notre service client soit d’une qualité comparable. Nous conseillons notamment nos clients sur nos modèles et leur permettons d’ajouter des détails personnalisés. En tant que fondateurs de la marque, nous cherchons à toujours être en contact direct avec les clients et tout faire pour qu’ils soient satisfaits, un peu comme un service de conciergerie. »
Kerem Atasoy, consultant en marketing numérique et ancien responsable digital chez Harvey Nichols, sur les « activations » en boutique
« L’économie du retail a connu un véritable bouleversement, surtout chez les membres de la génération Y qui ne dépensent plus leur argent pour des « trucs » mais pour des expériences. Cette génération s’est révoltée contre les excès de la fin des années 90 et le début du XXIe siècle pour adopter des pratiques de consommation plus réfléchies et mesurées. Les expériences et un mode de vie équilibré ont beaucoup plus d’importance pour eux que le dernier it bag.
Chez Harvey Nichols, nous avons lancé un programme de récompenses axé sur des expériences fabuleuses pour répondre à ces nouvelles attentes. En plus des traditionnels bons d’achat, nous avons aussi offert à nos clients de nombreuses expériences comme des soins du visage, des manucures ou des cocktails. Nous voulions nous assurer que nos clients se sentiraient mieux après avoir visité l’une de nos enseignes »
India Blue van Spall, Responsable de la communication chez Modern Society, sur l’importance des communautés en ligne
« Dans notre concept-store à Londres, nous voulions créer un espace qui offre bien plus qu’une expérience d’achat. L’espace accueille aussi bien les clients qui veulent acheter un café à 2 pounds qu’un manteau à 2 000 pounds. Notre objectif ? Offrir un « luxe accessible » en créant un lieu qui vous invite à toucher et interagir avec tous les objets présentés, de la papeterie aux manteaux de luxe.
Les marques de luxe que nous vendons dans la boutique adorent que nous l’utilisions aussi pour organiser des événements et des expériences. La communauté qui se rassemble dans notre boutique est devenue un élément essentiel de Modern Society. C’est une manière de concevoir une expérience shopping qui va au-delà des produits. Nous nous efforçons aussi de changer les choses en permanence, en réaménageant la boutique toutes les deux semaines, pour que nos clients les plus réguliers vivent à chaque fois une expérience un peu différente. »
Paul Munford, éditeur en chef de Lean Luxe, sur l’expérience globale
« Le luxe moderne est synonyme d’une excellence globale, et pas seulement de produits hors du commun. Face à des marques comme Chanel ou Louis Vuitton, des petits nouveaux comme Cuyana ou Away ne gagneront probablement pas la bataille de la qualité des produits – mais ce n’est pas forcément ce qui compte le plus aujourd’hui. Le marché est centré sur le consommateur, et non sur les marques, et c’est la valeur de l’expérience qui est la plus importante. La qualité du produit n’est pas négligeable, évidemment, mais son branding, son esthétique ainsi que l’expérience online et offline qui lui sont associés sont tout aussi essentiels.
La plupart des achats de luxe se passent désormais en ligne, donc l’expérience numérique est tout aussi importante que l’expérience en boutique (et peut-être même plus encore). Cependant, les marques de luxe moderne qui ont réussi à mener les deux de front avec des expériences de pop-up réussies montrent vraiment l’exemple – comme Everlane, MM.LaFleur et Argent.
Everlane en particulier a su créer des hits et des pop-up à thème dans les villes qui comptent. Aesop, qui existe depuis plus de 30 ans, est une marque qui comprend comment rester pertinente avec des expériences en boutique vraiment uniques. Même si elles sont adaptées à leur environnement, chaque expérience reste en accord avec les valeurs de la marque. »
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Texte Lisa Roolant