Bien comprendre vos client·e·s est primordial pour établir une relation de confiance qui s’inscrit dans la durée. Mais compte-tenu de cette période inédite de mise à l’arrêt du secteur du retail, il est difficile de savoir ce qu’ils·elles ressentent et recherchent en temps de crise.
Nous avons demandé au Dr. Chris Gray, spécialiste en psychologie du consommateur et fondateur de l’agence de conseil en retail Buycology, de partager ses conseils pour renforcer les relations clientèle. En plus de son expérience en thérapie de couple, son expertise dans l’analyse de processus émotionnels complexes lui a permis d’aider des marques comme The North Face, Adidas, Coca-Cola et Elizabeth Arden à mieux comprendre leur communauté. Il revient sur son parcours et nous fait part de son analyse de la situation actuelle:
En quoi votre expérience de thérapeute conjugal a éclairé votre travail de spécialiste en psychologie du consommateur?
Il y a beaucoup plus de points communs que vous ne le pensez ! Si vous observez les caractéristiques d’une relation saine — qu’il s’agisse d’un partenaire amoureux ou d’un·e consommateur·trice, tout repose sur la confiance. C’est au moment où une marque se lie à ses client·e·s que les gens deviennent fidèles. Mais il faut en prendre soin car des années de confiance peuvent être mises à mal par un seul événement. En tant que marques, nous sommes aujourd’hui à un carrefour : la manière dont nous nous présentons et dont les consommateur·trice·s nous perçoivent nous définira pour les années à venir.
Remontons encore plus loin : qu’est-ce qui vous a donné envie de vous intéresser à la psychologie du shopping?
En fait, ce n’était pas du tout prévu. Ma famille possède un magasin d’ameublement, j’ai donc passé mon enfance à observer mes parents tenir leur boutique et à en faire une entreprise prospère, en privilégiant les relations avec leur clientèle. Ils ont identifié les attentes et agi en conséquence — que ce soit en faisant des crédits ou en modifiant leur gamme de produits. J’aime appeler cela l’« avantage injuste » des petits commerçants : ils peuvent s’adapter plus facilement à la demande des client·e·s car ils interagissent constamment avec eux·elles. Mes parents étaient à la fois PDG et sur le terrain tous les jours — et je suis heureux que ça fonctionne toujours pour eux !
J’ai étudié la psychologie jusqu’au niveau du doctorat avec l’intention de devenir thérapeute, mais j’ai découvert que mon intérêt pour la psychologie portait sur l’impact des décisions du quotidien sur nos vies et nos identités. On est en mesure de voir que la plupart d’entre elles sont très complexes, surtout lorsqu’elles concernent le shopping : c’est de là que tout est parti.
*Pouvez-vous expliquer en quoi l’acte d’achat est en réalité plus compliqué que prévu? *
Quand nous achetons, de nombreuses opérations psychologiques sont en jeu, même si des processus automatisés et des comportements répétés nous laissent imaginer que c’est simple. En réalité, des dizaines de facteurs sous-jacents nous aident à prendre chaque décision : un geste aussi banal que l’achat d’une lessive devient plus qu’une transaction. Lorsque l’on achète, on satisfait des besoins émotionnels, on s’intéresse à l’auto-expression et à l’auto-création, tout en affirmant notre identité… Ces besoins ne sont pas uniquement comblés par ce que nous achetons, mais dépendent aussi de l’endroit d’où nous le faisons.
*Le secteur du retail est mis à l’arrêt sur tous les plans. Y a-t-il des enseignements que nous pouvons tirer d’autres crises du passé? *
Aujourd’hui, nous sommes confronté·e·s à un degré d’intensité qui diffère de tout ce que nous avons connu précédemment, mais s’il y a quelque chose que nous pouvons retenir des autres périodes de récession, c’est que les consommateur·trice·s s’adaptent vite aux nouvelles réalités. Après la crise économique de 2008, les gens étaient beaucoup plus économes et nombre d’entreprises craignaient que cela s’éternise. Mais une fois l’économie remise en route, tous·tes ont recommencé à dépenser plus. De la même manière, j’entends beaucoup parler du fait que le Coronavirus signerait peut-être la fin du commerce de détail, mais je trouve cela exagéré. Selon moi, les boutiques physiques jouent un rôle clé dans la vie des gens et je pense qu’à la sortie de cette crise, nous serons témoins d’un regain d’intérêt pour ces espaces. Je ne les vois vraiment pas disparaître.
Quels changements attendre de la part des consommateur·trice·s après cette crise?
Je pense que dans un premier temps, la sécurité sera dans toutes les têtes. Selon les bases de la psychologie et la Pyramide des besoins de Maslow, lorsque la sûreté et la sécurité sont en jeu, il est difficile de penser à autre chose : les gens veulent avant tout être sûrs qu’ils seront en sécurité. Les commerçant·e·s devront absolument communiquer et faire passer ce message auprès de leurs client·e·s.
Si elles ne peuvent pas promouvoir leurs produits, comment les marques peuvent-elles maintenir des liens authentiques avec leurs client·e·s?
Je pense qu’il est très important de maintenir un lien avec ses client·e·s même en étant fermés. La clé de l’authenticité est de les valoriser, et ce même s’ils·elles ne dépensent pas d’argent. Comme dans une relation, le fait d’avoir une attention sans retour immédiat en dit long sur votre marque et crée une corrélation positive avec les consommateur·trice·s. Proposer une valeur ajoutée dépend de votre client·e : cela peut passer par du soutien émotionnel, du réconfort, ou en proposant des idées et des solutions.
Connaissez-vous des marques qui y sont parvenues avec succès?
Après la crise de 2008, les gens n’étaient pas assez confiants pour effectuer de gros achats : les concessionnaires ont ainsi vu leurs ventes diminuer de 22%. En réponse, Hyundai a diffusé une publicité pendant le Superbowl de 2009 qui présentait son nouveau programme d’assurance. Si un·e client·e perdait son emploi suite à l’achat ou à la location d’une voiture, il était possible de se la faire racheter sans incidence sur sa cote de crédit. Hyundai a ainsi visé juste par rapport aux besoins des consommateur·trice·s de l’époque, à savoir une volonté de réduire le risque — l’entreprise a été le seul fabricant à voir ses ventes remonter pendant cette période.
Vous suggérez aux marques de faire preuve de respect et d’humilité en ce moment. Pouvez-vous développer votre pensée?
De nombreuses marques ne comprennent pas toujours qu’elles ne sont pas la priorité des consommateur·trice·s. Mais en cette période incertaine, il est important de prendre conscience que vous ne faites pas partie des priorités de vos client·e·s, et qu’ils·elles traversent tous·tes un moment difficile. Mettre en avant des promotions et des soldes sans prendre en compte leur situation peut vous faire apparaître comme déconnecté·e et remettre en question votre intérêt pour votre clientèle. Les marques ne peuvent pas se le permettre en ce moment.
Comment une marque peut-elle communiquer de manière efficace en gardant cela à l’esprit?
Il y a de nombreuses actions à mener : reconnaître les difficultés des gens et normaliser la situation leur permettra de sentir que vous êtes de leur côté. L’utilisation d’éléments de langage qui vous rassemblent en tant que communauté peut également aider, tel que : « Nous traversons aussi une période de crise », ou « Nous cherchons ce que nous pouvons faire pour vous accompagner au mieux ». Cela nous ramène à l’idée de comprendre comment traduire cette valeur ajoutée auprès de votre clientèle. C’est ce que j’étudie avec toutes les marques avec lesquelles je travaille : plus que tout, vous devez être au plus près de ce dont vos client·e·s ont besoin et partir de là. L’observation est une ressource inépuisable.