Comment Maison Château Rouge soutient les PME africaines
21 Nov 2017
Rencontre avec Youssouf Fofana, fondateur de Maison Château Rouge, qui fait évoluer la mode africaine et les PME sénégalaises.
La chance sourit aux audacieux... Et aussi aux débrouillards et aux bienveillants, comme Youssouf et Mamadou Fofana, fondateurs de Maison Château Rouge. En 2015, les deux frères lancent l’association Les Oiseaux Migrateurs pour aider au développement des TPE et PME du Sénégal, pays d’origine de leurs parents. Pour soutenir le projet, ils commercialisent 100 tee-shirts en wax aux coupes sportswear.
Les tops connaissent immédiatement un succès fulgurant en ligne. La marque est baptisée Maison Château Rouge, en référence au quartier africain, dans le 18ème à Paris, d’où proviennent les tissus. Elle est pile dans l’ère du temps, alors que la wax est en train de devenir la matière incontournable sur les podiums, et que l’Afrique s’impose comme le continent de l’avenir.
La même année, au salon Who’s Next, Maison Château Rouge pique la curiosité de la presse et des modeux. A partir de là, tout s’enchaîne : Youssouf et Mamadou collaborent avec Google sur l’événement Les Heures Magiques puis avec Merci sur l’exposition So Wax. A l’été 2016, ils ouvrent une boutique éphémère rue Myrha (à Château Rouge évidemment !) devenue permanente. Ils sont aujourd’hui présents dans 9 pays, notamment dans certains points de vente prestigieux comme le Bon Marché, et bientôt chez Monoprix qui accueillera une collection capsule de la marque au printemps 2018.
“ On a eu beaucoup de chance depuis le début, mais on se dit que c’est peut-être aussi le karma et que nos efforts ont été récompensés parce qu’on essaie d’aider les gens ”, explique Youssouf. Ce sont ses expériences dans le monde de la banque et des start-up qui lui ont permis de devenir un expert du système D et de lancer des projets à succès avec peu de budget. Ceux-ci lui permettent de soutenir l’entrepreneuriat africain. Il nous explique comment.
Comment produisez-vous pour Maison Château Rouge ?
Je dessine les modèles, et nous les faisons fabriquer dans plusieurs ateliers parisiens, notamment à Château Rouge. Nous achetons aussi les tissus dans les boutiques du quartier, car ça fait partie de notre identité. Cela limite naturellement les stocks et nous produisons en série limitée. Il n’y avait aucune stratégie derrière cette décision au départ, mais le manque crée une désirabilité. Quand on met en ligne de nouvelles pièces sur le site, on arrive très vite à épuisement.
Comment aidez-vous les TPE ET PME sénégalaises à se développer ?
Maison Château Rouge nous permet de financer les initiatives des Oiseaux Migrateurs, notamment la fabrication de notre jus de bissap Bana Bana. Nous créons de l’emploi en travaillant avec plusieurs coopératives : à Thiès et Kaolack, 300 femmes s’occupent de la cueillette des fleurs d’hibiscus, du tri et du séchage. A Mbao, 12 personnes s’occupent de la transformation et de l’embouteillage.
Quels sont les principaux freins au développement des PME et TPE africaines ?
L’une des grosses problématiques que l'on rencontre en Afrique est que l'on ne produit que les matières premières. Leur transformation ne se fait pas sur place. Il y a donc peu d’emplois et une grande dépendance des populations locales vis-à-vis des diasporas. C’est pour cela qu’avec Bana Bana, nous faisons tout faire au Sénégal. Ensuite, il n’est pas toujours facile de trouver des clients sur place et vendre à l’international permet aussi de soutenir les entreprises.
Dans le monde actuel, on assiste à un transfert d’autorité des politiques vers les marques
Pourquoi est-ce difficile de transformer les matières premières sur place ?
Il y a un manque de formation, d'infrastructures, un monopole des gros industriels qui ont fait fortune et certains facteurs politiques que je connais moins. C'est pour cela que je pense que les partenariats privés, avec des gens qui veulent faire changer les choses, sont plus intéressants. Dans le monde actuel, les hommes votent de moins en moins et on assiste à un transfert d’autorité des politiques vers les marques. C'est ce qui me conforte dans l'idée que les entreprises peuvent changer les choses.
En ce qui concerne la mode africaine, comment percevez-vous le fait que les créateurs qui produisent sur place soient moins connus que certaines marques européennes ?
De plus en plus de créateurs établis en Afrique sont connus, je pense par exemple à Loza Maléombho en Côte d’Ivoire et à Selly Raby Kane au Sénégal. Leurs vêtements ont été portés par Beyoncé et Solange Knowles. Evidemment, pour que ces marques gagnent en notoriété, il faut que la presse et les boutiques en Europe jouent le jeu et leur donnent l’opportunité d’être visibles. De notre côté, nous lançons aussi des produits fabriqués sur place. Nous travaillons par exemple sur des sacs avec une usine kenyane. De même, les petits bracelets donnés avec nos vêtements viennent du Sénégal.
Pensez-vous qu’il est plus difficile de fabriquer de la mode en Afrique ?
Cela peut être difficile lorsqu’on n’est pas sur place. Les gens sont habitués à faire du sur-mesure et pas de la production. Il faut changer leur mode de fonctionnement et je comprends qu’ils n’aient toujours envie qu’on leur impose le nôtre.
Quelle est la prochaine étape pour Maison Château Rouge et les Oiseaux Migrateurs ?
Nous allons consolider la distribution à l'international de Maison Château Rouge en priorité. Nous nous ouvrons aussi à d'autres matières que la wax, comme l'indigo, le bogolan et les perles. Nous devons créer un studio et embaucher, car tout est fait à différents endroits avec les moyens du bord et nous ne sommes que 4 : deux amis, mon frère et moi. A côté de cela, nous démarchons des restaurants et épiceries pour diffuser notre jus de bissap, disponible seulement dans notre boutique pour l’instant et à des événements, dont ceux de Louboutin, l’OCDE et l’AKAA (Also Known As Africa, le salon de l'art contemporain africain).
Pensez-vous faire appel à des investisseurs pour booster le développement de votre entreprise ?
On se pose la question en se demandant si ça nous permettrait de faire plus de choses et d’avoir plus d'impact. Mais, pour l’instant, on préfère que la croissance se fasse petit à petit, rester indépendants et ne pas perdre le côté social de notre entreprise.
Propos recueillis par Normandie Wells