On dirait presque une galerie comme les autres. Les murs sont blancs, quelques œuvres interpellent les passants de la rue Clauzel. Mais au numéro 8, pas de silence intimidant, ni d’impression de déranger. Cette “Art Room” est l’œuvre d’Amélie du Chalard, la fondatrice d’Amelie, une maison d’art qui accueille les collectionneurs en ligne et dans deux appartements-galeries à Paris et Londres. Elle partage avec nous son regard sur les évolutions du marché de l’art, loin des idées reçues.
Vous avez ouvert votre galerie d’art en ligne : comment expliquer ce choix ?
Le digital n’a jamais été seul, je l’ai toujours associé à une “Art Room”, une galerie-appartement. Mais le problème des galeries traditionnelles est que leur offre est plutôt limitée. Elles présentent les œuvres de deux ou trois artistes dans un espace assez froid, avec un éclairage peu naturel. Et surtout, les prix n’y sont pas affichés. Le digital m’a permis de pallier à ces deux faiblesses de la galerie traditionnelle, avec une profondeur de choix beaucoup plus large et une réelle transparence sur les prix.
L’achat d’une œuvre d’art est un choix important. Si on le fait bien, on peut passer sa vie avec elle. Et pour que ce choix soit bien fait, l’œil doit voir énormément de choses pour comprendre ce qu’il aime. Il faut voir 300, 400 œuvres, avec des couleurs, des matières et des formats différents. Le digital permet d’avoir cette multitude.
Il a aussi des limites. En ligne, le rendu est beaucoup plus plat, les couleurs ne sont pas tout à fait fidèles à l’original... Mais il permet de simplifier l’approche, de regarder les œuvres à n’importe quel moment et d’en présenter beaucoup.
Pensez-vous que le marché de l’art résiste à la digitalisation ?
Effectivement, nous sommes au début de sa digitalisation. Il y a 4 ans, la vente d’art en ligne représentait 1,5% du marché, contre 3% du marché aujourd’hui.
Le marché résiste d’abord car cela coûte plus cher d’acheter une œuvre d’art qu’une robe. C’est aussi un achat important, qui implique le cœur : il est essentiel de voir l’œuvre en vrai pour apprécier sa matière, sa couleur, sa dimension.
Je pense que le marché digital va se développer dans des proportions raisonnables. Les technologies de visualisation s’améliorent mais on aura toujours besoin de voir les œuvres. Et l’autre raison c’est aussi de pouvoir échanger, d’être accompagné lorsqu’on achète une œuvre.
Pourquoi avoir aménagé un appartement plutôt qu’une galerie d’art ?
C’était un choix évident pour moi. Lorsque j’habitais dans le 6e, rue Jacob, je voyais les galeries disparaître donc je me disais bien qu’il y avait un problème. En étudiant le marché, j’ai réalisé que ce modèle de distribution n’avait pas changé en 50 ans, qu’il s’était même éloigné des tendances.
J’ai choisi le format de l’appartement car j’achetais déjà beaucoup d’œuvres pour chez moi, et je voyais que la frontière avec l’art s’effaçait enfin lorsque mes invités les découvraient in situ, au-dessus du canapé plutôt que dans une galerie. C’est comme ça que j’ai envie de les montrer, car je crois qu’une œuvre s’achète pour soi et pour chez soi.
Qui sont vos clients ?
Leurs profils sont très variés. Je conseille pas mal de néophytes qui n’osent pas franchir la porte des galeries traditionnelles. Mais j’accueille aussi des gens qui achètent ailleurs et qui ont besoin d’un peu de fraîcheur, d’œuvres différentes. Il n’y a pas de profil type. Leur point commun, c’est d’être assez jeunes.
Je travaille aussi pour des clients corporate : des architectes et des décorateurs nous contactent pour réaliser l’aménagement artistique d’hôtels et de restaurants. On a aussi travaillé avec Louis Vuitton sur l’ouverture de leurs nouvelles boutiques à Séoul, Melbourne, Hong Kong.
Quels sont vos conseils pour choisir une œuvre d’art pour sa boutique ?
D’abord, je pense que les œuvres choisies doivent coller à l’ADN de la marque. Lorsque je conseille une marque, c’est aussi mon rôle de l’aider à définir ce qu’elle recherche. Je fais des suggestions de deux ou trois artistes je lui explique pourquoi ils correspondent au projet, à l'histoire de la marque, à ses valeurs… Il est aussi possible de commander des œuvres pour rester proche de cet ADN. Pour la boutique Vuitton de Séoul, une artiste coréenne a créé une œuvre pour la marque selon un cahier des charges très précis.
Il faut ensuite une homogénéité dans le choix des œuvres exposées. Par exemple, dans l’Art Room, il n’y a que des artistes différents mais l’ensemble garde une certaine unité. Et je crois que l’homogénéité est possible lorsque c’est le même œil qui choisit.
Comment sélectionnez-vous les artistes dont vous exposez le travail ?
Ma “ligne éditoriale”, c’est de travailler avec des artistes vivants et de proposer des œuvres abstraites. J’ai commencé avec les œuvres des artistes que je suivais déjà, et puis j’ai étoffé l’offre avec les travaux d’artistes rencontrés dans leurs ateliers, sur les foires et les salons. Il y a aussi les artistes découverts en fonction des demandes de nos clients.
Votre dernier coup de cœur artistique ?
L’exposition Basquiat - Schiele, à la fondation Louis Vuitton, deux artistes mondialement connus que j’adore. Et notre dernière exposition, sur la thématique de la forme, qui a eu lieu ici, dans l’Art Room. J’y ai présenté les sculptures d’Anouk Albertini, les toiles de Frédéric Heurlier Cimolaï et les collages de Christophe Gravis. Au-delà des œuvres, le coup de cœur vient aussi de la rencontre avec les artistes.
Propos recueillis par Clémence Gruel